Une tournée pas comme les autres

Les 9 et 10 décembre prochains, un quatuor vocal de l’ensemble Aedes, animera des ateliers de chant au sein de l’Établissement public départemental de santé mentale de Prémontré dans l’Aisne, grâce au soutien de la Fondation Artistes à l’Hôpital. Laia Cortés Calafell, Anthony Lo Papa, Giulia Sampieri et Pierre Barret-Mémy passeront deux jours auprès des résidents avant d’être rejoints par l’ensemble Aedes au complet pour un concert en tutti dirigé par Mathieu Romano, le 13 décembre.
Une autre tournée se déroulera dans plusieurs EHPAD de la Somme, avec le soutien du Conseil Départemental. Tout au long du mois de décembre, plusieurs quatuors vocaux d’Aedes chanteront au chevet des personnes âgées à Woincourt, Picquigny et Abbeville. Ils se réuniront à Péronne pour un concert au complet autour du programme « Un Noël enchanté ».

L’occasion de questionner quatre chanteurs et chanteuses d’Aedes sur la spécificité de ces interventions artistiques en établissement de santé, véritable démarche culturelle loin de ressembler à l’expérience de la scène !

 

Vous chantez en quatuor dans le cadre de la tournée d’Aedes « Un Noël enchanté » dans les établissements de santé et de soin. Qu’est-ce qui vous motive à participer à cette série de concerts ? 

Giulia : La période de Noël est celle des retrouvailles, des fêtes, du partage pour beaucoup d’entre nous. Je trouve important de ne pas oublier les personnes qui la traversent dans un contexte de maladie ou d’isolement, parfois loin de leurs familles. Notre métier prend tout son sens dans ces moments-là, car notre public n’est pas seulement celui des salles de concert, il est partout où l’on prend le temps de venir à sa rencontre.

Pierre : C’est aussi nourrissant, artistiquement et humainement, de se produire pour des personnes dans le besoin, pas nécessairement matériel — je parle du besoin de bien-être et de douceur. Les personnes présentes dans ces établissements traversent souvent de moments de vie difficiles, et pouvoir se produire pour eux, c’est fort !

Laia : Oui, et cela aussi nécessaire pour les patients que pour le personnel soignant.

© Francesco Carbis pour Tournesol


Selon vous, qu’apporte la musique aux personnes hospitalisées ou hébergées au sein des structures médico-sociales ? La voix produit-elle des effets particuliers ?

Laia : La musique permet et apporte des moments d’évasion et de légèreté qui peuvent faire beaucoup de bien aux personnes hospitalisées dont le quotidien est plutôt monotone.

Giulia : Il n’est pas rare de voir émerger des émotions et des souvenirs, parfois même des rires ou un retour de la parole chez des patients qui ne parlaient peu ou plus. Entendre fredonner timidement ou chanter à pleine voix certains d’entre eux est toujours une petite victoire !

Anthony : La voix, c’est vrai, a une faculté particulière à émouvoir. Sans doute parce que nous avons tous cet instrument en commun, qu’on fasse de la musique ou non. La voix est le prolongement de l’émotion, c’est quelque chose de très physique, presque viscéral. D’ailleurs notre voix trahit bien souvent nos émotions, dans toutes les circonstances de la vie..

 


En tant qu’artiste, comment ressentez-vous la rencontre avec ces différents publics ?

Laia : C’est très gratifiant. D’habitude, nous n’avons pas la possibilité de rencontrer notre public. Dans ces conditions, nous avons des échanges directs et nous ressentons davantage la beauté des moments que nous offrons à des personnes qui ne peuvent pas se déplacer pour nous écouter dans nos différents concerts.

Anthony : Ce peut être assez difficile, parce que dans notre métier, il y a une « routine de qualité » qui comprend un certain nombre de critères techniques, esthétiques. Bien souvent, ces critères échappent un peu au public qui est sensible à d’autres aspects bien plus subjectifs. Dans ces circonstances particulières, il faut donc accepter (et on peut en être frustré) d’abandonner cette maîtrise et de sauter dans l’inconnu : il y a toujours des gens qui vont réagir d’une manière « inappropriée », manifester bruyamment leur ressenti. Mais personnellement, cela me plaît de sortir de la politesse feutrée et convenue de la salle de concert, et de chercher à toucher « en plein cœur » le public avec les œuvres.


Chanter dans les établissements de santé nécessite-t-il un savoir-faire particulier ?

Pierre : Oui et non. Je pense que tout le monde est capable de se produire dans des établissements de santé. En revanche, il y une différence entre « être capable » et « se sentir à l’aise ». Cela peut dépendre du vécu de chacun, mais aussi des patient(e)s rencontré(e)s et des pathologies dont ils/elles sont affecté(e)s. Ce n’est pas toujours un exercice évident, mais cette une expérience d’une richesse incroyable !

Giulia : Je crois qu’il faut surtout avoir très envie d’être là, de partager de la joie et de savoir communiquer, se mettre à la portée de l’autre. Il faut aussi se montrer souple et réactif, dans une écoute sensible des patients pour pouvoir s’adapter rapidement au besoin et à la disponibilité du moment. Le secret est aussi d’être solidaires entre collègues et d’œuvrer ensemble à ce que le moment soit le plus fluide et joyeux possible.

 
Quel est votre souvenir le plus marquant dans le cadre des actions culturelles d’Aedes ?

Pierre : Je me souviens d’une série de concert en quatuor à Tonnerre. Nous sommes allés chanter pour des personnes isolées, à leur domicile. Chanter pour une seule personne, seule, chez elle… C’était fou. Parfois, parce que ça suscitait une grande émotion, parfois au contraire parce que le public ne semblait pas plus réceptif que ça… Mais on marquait une présence, à un moment donné, et je crois que c’était ça le plus important.

Anthony : J’ai le souvenir d’un projet fou au Festival de Clairvaux : créer une cantate composée d’après des textes travaillés lors d’ateliers au sein d’une prison centrale. La présence des détenus à la création de « leur » œuvre, l’intensité du propos, la visite de la centrale et la « proximité » de cet univers carcéral si loin de notre quotidien… c’était bouleversant. Cela fait partie de ces concerts où j’ai eu l’impression de servir à quelque chose, que des personnes avaient besoin de ce que nous donnions. C’était ma première fois en prison, un mélange d’appétit d’humanité et d’inquiétude sourde. Je ne l’oublierai jamais.

Giulia : Je me souviens d’un concert en Ehpad l’année dernière à la même période,  où nous circulions de chambre en chambre pour chanter quelques morceaux aux personnes alitées. Une dame n’avait d’abord pas souhaité que l’on chante pour elle, mais était finalement sortie de sa chambre pour venir écouter timidement depuis le couloir. Les soignants nous avaient dit avec émotion que c’était la première fois depuis des semaines qu’elle acceptait de sortir de sa chambre.

Laia : J’ai la chance de participer aux actions culturelles menées par Aedes depuis plusieurs années. Je me souviens d’un concert pour des enfants malades et leurs familles, c’était très dur mais incroyablement enrichissant. Un des enfants, à la fin du concert, a demandé à Mathieu s’il pouvait nous diriger et il l’a fait… Le sourire et le regard de joie de cet enfant est gravé à jamais dans mon cœur.

 

 

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